En 1957, Chris Marker croit encore que la mort de Staline permettra la renaissance de l’espoir d’un modèle socialiste à visage « humain ». En pleine guerre froide, il filme les traces de cet espoir dans l’élan de modernisme qui dynamise alors ce territoire du bout du monde.
En 2017, Clément Cogitore plonge au cœur de la taïga sibérienne, dans l’univers autarcique formé de deux familles de « vieux croyants » (une minorité de traditionnalistes de la religion orthodoxe), eux aussi en pleine guerre froide au cœur de la forêt à 700 km de tout village… Entre les deux familles, un fleuve et une île, comme un bac à sable commun où les enfants « ennemis » se retrouvent. Ici, cette île « aux enfants » incarne l’espoir d’un avenir possible.
C’est dans un même « pays lointain » que les deux cinéastes partent en quête d’un futur possible, avec une même inquiétude fondée sur la difficulté de l’homme à « faire société ». Que ce soit dans l’URSS de 1957 ou la Russie de 2017. Deux écritures différentes pour ce carnet de voyage, deux époques différentes, mais le rapprochement des deux films produit une réflexion à la fois cinématographique et politique forte. Le film de Cogitore se construit sur un mode narratif proche de la fiction, avare de paroles, riche en images signifiantes. Le film de Marker est un de ses films de voyage, film épistolaire bâti sur la parole de Marker, sur la pensée de Marker en perpétuelle remise en question des images et de leurs signes.
Le film de Marker est comme le hors-champ du film de Cogitore. Un hors champ qui resitue Braguino dans l’Histoire mais aussi dans l’espace d’une Sibérie qui fut un symbole de la modernisation soviétique. C’est là qu’aujourd’hui, des petites communautés rejouent la scène primitive de l’Homme face à la nature, de l’Homme face à l’Homme.