À propos du film
« Ils étaient des nouveaux-nés. Quelqu’un, quelqu’autre. Quelques-uns… » Agnès Varda
« La rue Mouffetard à Paris, c’est la Mouffe et le marché qui s’y tient tous les jours, c’est la bouffe. Le quartier d’aujourd’hui, avec des centaines de restaurants, de marchands d’habits, de souliers, de toute sorte de choses, ne ressemble pas du tout à la Mouffe de 1958 : c’était pauvre, sale et pleins de clochards qui dormaient dehors. Je faisais des photographies, je prenais des notes avec un type qui s’appelait Suc. L’hiver où j’ai tourné, 3 hommes sont morts de froid dans la rue. J’allais presque tous les matins au marché avec une chaise pliante. Je montais dessus et je filmais en 16 mm avec une caméra prêtée. C’était en quelque sorte L’Opéra de Quat’ Sous, mais c’est devenu pour moi L’Opéra-Mouffe. J’étais enceinte. Je sentais en moi la contradiction d’attendre un enfant, d’être pleine d’espoir, et de circuler dans ce monde de pauvres gens, ivrognes, sans espoir qui avaient l’air malheureux. J’avais de la tendresse en les regardant, surtout les vieux. Je les imaginais bébés, quand leurs mères leur embrassaient le ventre. Quand j’étais dans le marché, au milieu de toutes les nourritures, je sentais une confusion entre le gros ventre de femme enceinte et le gros ventre de trop manger. C’était entre l’envie et le dégoût. J’essayais de laisser libre court à des images confuses, pas vraiment des peurs, mais des sortes de fantasmes, quelque chose qui pouvait être l’imaginaire de la grossesse. J’essayais d’exprimer tout ça dans ce film, je l’ai fini en avril 1958, il a été montré au Festival expérimental de la Grande Exposition de Bruxelles. Et le mois suivant, au mois de mai, j’ai mis au monde ma fille Rosalie. » Agnès Varda