À propos du film
"En 2004, le Roi du Maroc met en place l’Instance Equité et Réconciliation destinée à enquêter sur la violence d’Etat durant les « années de plomb. » Le film accompagne durant trois années quatre familles dans leur quête d’élucidation. Chacun est mis face à cet impératif soudain : faire remonter les souvenirs, dire ce qui a été muré dans le silence, comprendre les énigmes, saisir le destin des aînés, leur engagement, le sien propre. Faire le deuil des disparus, faire le deuil aussi de sa propre existence ruinée. L’expérience n’épargne aucune douleur, car chaque secret dévoilé ouvre sur un autre, et dans cette chute en cascade, c’est la famille et ses liens, ses légendes provisoires et ses conforts, qui menace de s’effondrer. La possibilité de la parole ne signifie pas sa fluidité, et c’est le cheminement douloureux d’une réappropriation d’un langage enfoui auquel on assiste. Du politique au domestique, entrelacés par force alors, aujourd’hui dénoués sur la place publique, le film montre des destinées dont nulle n’est sauve de l’héritage de l’Histoire." Jean-Pierre Rehm
Extraits d’un article d’Isabelle Régnier paru dans Le Monde du 02/07/2008 (à lire en entier sur lemondre.fr)
« (…) D’une réflexion sur la mémoire de la violence politique au Maroc, inscrite dans la lignée de Shoah, le film de Claude Lanzmann, la cinéaste en est venue à placer le dispositif de l’instance au cœur de sa mise en scène. Pas pour en faire la chronique, mais plutôt pour l’appréhender comme le moteur d’une réappropriation de leur mémoire par les personnages
auxquels elle s’est intéressée.
Mandatée en parallèle pour filmer le travail de l’instance (et constituer un fonds ayant vocation à être exploité par l’INA, coproducteur du film, et par les autorités marocaines), Leïla Kilani a rencontré ainsi la plupart de ses personnages - des familles dont l’un des membres a été victime de la violence d’Etat (disparu ou prisonnier politique). « Le Maroc n’est pas un pays où il y a eu 100 000 disparus, explique-t-elle. Il n’y a pas non plus un fonctionnement d’appareil d’Etat à décortiquer. Ce qui m’intéressait était ce qui produisait la terreur. C’est-à-dire l’indicible, la rumeur, et celle-ci partait des salons marocains. La terreur était à l’intérieur des familles » (…)
Le film a glissé d’une problématique centrée sur la parole des victimes, “une catégorie qui induit des certitudes en termes de représentation”, à une autre, plus instable, fondée sur le dialogue entre des générations d’une même famille filmées chez elles, dans leur salon. (…)
L’histoire que révèle le canevas d’histoires tissé par le film a un goût amer. Après quatre ans durant lesquels chaque découverte ouvrait un puits de nouvelles questions, aucune des familles représentées n’a obtenu de réponses définitives de la commission. Dans le même temps, pourtant, un bouleversant travail s’est mis en branle : poussées par l’existence de cette commission et par le film, les différentes générations se sont arraché des mots pour dire une histoire jusque-là refoulée dans un non-dit étouffant. »
Isabelle Régnier
Dossier de presse