Synopsis
Ils sont Afghans, Irakiens, Kurdes, Palestiniens, Erythréens, Somaliens, Soudanais… Ils ont fui la guerre, les massacres, l’insécurité, la misère. Six ans après la fermeture du Centre de la Croix Rouge de Sangatte, décidée par Nicolas Sarkozy, ils sont toujours aussi nombreux à tenter de passer en Grande-Bretagne
Ils sont Afghans, Irakiens, Kurdes, Palestiniens, Erythréens, Somaliens, Soudanais… Ils ont fui la guerre, les massacres, l’insécurité, la misère. Six ans après la fermeture du Centre de la Croix Rouge de Sangatte, décidée par Nicolas Sarkozy, ils sont toujours aussi nombreux à tenter de passer en Grande-Bretagne. Sans commentaire et sans interview, le film décrit leur survie, au cœur de Calais qui semble les avoir intégrés à son paysage. Livrés à la rigueur des éléments, privés de tout, harcelés par la police, ils errent dans la ville, survivant grâce aux associations locales qui les nourrissent. Le silence du film fait prendre une résonance particulière à chaque image, chaque visage, chaque geste qui disent la souffrance, la fatigue, l’angoisse mais aussi la joie de vivre, l’extraordinaire vitalité, l’humour, l’espoir.
À propos du film
Les indicibles étrangers par Smaïn Laacher (Membre associé du CNRS-EHESS, expert auprès du H.C.R, auteur de : “Après Sangatte », La dispute, 2003, “Le peuple des clandestins”, Calmann-Lévy 2008.)
On ne compte plus les reportages et les documentaires sur les clandestins de Calais. Par centaines et dans tous les formats. Et il y a une constance dans la manière de filmer ces populations, qui, en attente d’un passage vers l’Angleterre, survivent à l’écart, en marge, au bord, juste à côté du monde des hommes, oubliées des puissants et des Etats mais pas des caméras. Tantôt objet de souffrance et de misère, sans histoire et sans parole ou alors des paroles mille fois entendues avec les mêmes mots et sur le même ton ; tantôt héroïsation et hyper esthétisation de celui qui ne demande rien d’autre qu’â être considéré comme un homme ou une femme ordinaire. No Comment de Nathalie Loubeyre et Joël Labat évite ces deux écueils. La réalisatrice et son co-auteur parviennent avec une rare finesse et sans sollicitation déplacée à se frayer une voie qui renvoie dos-à-dos misérabilisme et populisme. Deux postures qui, faut-il le rappeler, ont été une catastrophe pour la compréhension historique et sociologique des causes des déplacements forcés de populations. Dans No Comment, de la première à la dernière image, sans interprétation ni analyse faussement savante, bref sans commentaire, nous sommes transportés au cœur du premier et de l’ultime enjeu lorsqu’il s’agit d’hommes et de femmes qui sont là alors qu’ils devraient être ailleurs (chez eux, dans leur nation, sur leur territoire, etc.) : que faire de ces populations qui embarrassent tout le monde ? A ces êtres sans nom, innommables (dans toutes les acceptions du terme), il ne leur reste plus qu’un bien, un unique bien, un corps, leurs corps devenue propriété légitime que seule la mort peut leur soustraire. Ces visages, ces mains, ces pieds, montrés séparément ou dans leur articulation dans la surface totale du corps, bref, ces corps encore robustes ou mutilés, venus de partout et de nulle part trahissent un défaut d’appartenance : leur présence est illégitime. C’est leur absence qui est considérée comme normale, parce qu’elle est inscrite noir sur blanc dans le droit des Etats et défendue par la morale publique. Ces corps dépolitisés parce que sans identité civile ni revendications officielles, si ce n’est seulement vouloir être traité avec dignité, No Comment nous les montre avec une sensibilité si peu fréquente, à la fois proche et à bonne distance. Le documentaire se termine sur une image saisissante : celui d’un visage silencieux presque ordinaire qui hésite l’espace d’une seconde à regarder la caméra ; il baisse les yeux puis les relève aussitôt et regarde enfin dignement la caméra sans pour autant que disparaisse totalement un imperceptible désarroi. Il sait qu’il regarde le monde ; il sait qu’il est regardé par ceux qui ont le pouvoir de comprendre et de modifier le sens de son existence et celle de ses compagnons d’infortune. Les auteurs ne cherchent nullement à susciter de la pitié, cette tristesse à distance, ou une mauvaise compassion. Ils nous disent que le départ de chez soi c’est d’abord une ligne droite qui se brise. Plus encore, lorsqu’on laisse derrière soi, souvent à jamais, sa maison et son territoire, autrement dit quand on quitte sa place et qu’on ne peut en trouver une autre, alors le monde devient une vaste prison.