La Bête lumineuse
Pierre Perrault
Canada, 1983, 127 min / Couleur

La Bête lumineuse, Pierre Perrault, Canada, 1983, 127’

Synopsis

Au Québec, trois amis partent à la chasse à l’orignal. Mais le gibier n’est pas toujours celui que l’on croit… Une partie de chasse comme métaphore des relations humaines, où l’individu est confronté à ses plus bas instincts mais aussi à la sublimation de ses désirs.

La bête lumineuse, c’est l’orignal, animal mythique des forêts canadiennes. Mythique par sa pérennité, sa rareté. À tel point légendaire que tout ce qui le concerne “se légende”. Selon l’expression de Pierre Perrault lui-même. S’agit-il d’une partie de chasse ? Nous assistons en effet aux préparatifs, la mise en place des stratégies, aux longues stations des chasseurs, dans la nature ; mais le sujet de ce film admirable est ailleurs. Il est dans la rencontre de quelques hommes, coupés de leur vie ordinaire et qui ont rendez-vous avec l’Extraordinaire. Avec un fantasme de force et de beauté et qui, dans le meilleur des cas, ne rencontreront qu’eux-mêmes. Il faut saluer l’exploit de Pierre Perrault qui déjoue les pièges du folklore, dépasse l’anecdote et nous restitue à travers quelques individus l’âme de son terroir.

À propos du film

“J’ai pensé à la chasse, parce qu’ils l’habitent comme un sanctuaire, comme un pèlerinage au fond d’eux-mêmes… La chasse qui n’a pas, ici au Québec, le sens qu’elle peut avoir ailleurs. Fête aussi de la parole, et jeu de la vérité… […] La chasse, c’est, enfin, la chance de l’exploit dans nos vies sans exploit, routinières, monotones et généreuses… quand l’hiver s’annonce comme un règlement de comptes… […] ” Pierre Perrault
 
Texte de Simone Suchet
Il me faut bien l’avouer, dans un premier temps, j’ai violemment rejeté La Bête Lumineuse\n, film documentaire réalisé par Pierre Perrault, en 1982, et qui retrace l’équipée de 10 hommes, des citadins, la quarantaine environ, qui se retrouvent dans un chalet perdu de la région du Maniwaki, au Québec, pendant une semaine pour une traditionnelle partie de chasse à l’orignal, le grand élan du Canada. Parmi ces hommes, l’un, Stéphane-Albert ne semble pas tout à fait à sa place  : il dénote. Il s’exprime mieux que les autres, n’hésitant pas à l’occasion à faire de grandes phrases un peu pédantes, parle d’idéalisme, d’amitié. Les autres s’intéressent davantage aux bouteilles d’alcool qu’ils vident avec constance lors de longues soirées de beuverie, profèrent des jurons et racontent des blagues graveleuses.
J’ai rejeté ces hommes qui juraient, criaient, buvaient plus que de raison, riaient de tout et surtout de rien. Je les ai tous rejetés, autant Stéphane-Albert, le novice, le poète que Bernard, le cuisinier et chasseur aguerri. Je n’ai pas aimé leur affrontement. La virilité exacerbée des uns m’agaçait autant que la sensiblerie de l’autre.
Et je n’étais pas loin de penser que Pierre Perrault s’était perdu en partant chasser avec ces pocailles de Maniwaki\n comme il aimait à les appeler. 1
Bref je n’aimais pas La bête lumineuse\n. Mais je n’étais pas la seule. Et si ce film est maintenant devenu un film-culte, ce ne fut pas le cas lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, en 1982, loin de là  ! Pierre Perrault me disait souvent avec un sourire navré qu’il avait enregistré là le plus grand succès de vidage de salle jamais obtenu.
Autant dire que je n’avais rien compris à ce film que j’ai depuis revu à de nombreuses reprises et que j’aime infiniment.
A ma décharge, il faut dire que le début du film est tout à fait déstabilisant. Tout d’abord, il y a la langue québécoise, une langue rugueuse à laquelle il faut s’accoutumer. Et il y a le montage qui passe d’un personnage à l’autre sans le moindre avertissement, saute allègrement d’un moment à un autre, présente des faits bruts tout cela sans la moindre explication. Plus déroutant encore, un dialogue entre Stéphane-Albert et Bernard, découpé et placé à intervalles réguliers dans cette séquence d’ouverture, dialogue qui anticipe sur l’histoire à venir. Dans ce dialogue que l’on comprendra plus tard, Bernard explique à Stéphane-Albert comment la meute de loups encercle l’orignal avant de s’abattre sur lui pour la curée finale.
Ensuite on passe à la séquence des préparatifs  : les hommes font leurs adieux à leurs femmes et à leurs enfants, font les provisions pour la semaine  : boissons et nourriture. S’installent au chalet. Très vite, on a affaire à deux groupes distincts, un homogène et compact formé par les habitués et un composé du seul Stéphane Albert. L’un est dans l’imagination, dans le fantasme, les autres dans le concret, pieds et mains dans la boue.
Contrairement à mes premières impressions, le film ne se réduit pas une simple virée entre copains, copieusement arrosée, une occasion de boire, de manger et de s’amuser. Le film présente la chasse comme un rite de passage, une initiation au cours de laquelle les hommes s’inventent une image mythique d’eux-mêmes en se confrontant à un animal lui-même mythique. On réalise aussi très vite que la chasse à l’orignal n’est pas le seul sujet du film et qu’une autre chasse se livre ailleurs, entre les hommes, les soirs de beuveries dans le chalet, et qui se résoudra lorsque la bête lumineuse que Stéphane-Albert attend depuis une semaine n’est autre que Bernard, ivre mort qui s’écroule en rigolant. Stéphane-Albert se rend compte alors qu’il est victime d’un canular que lui ont servi ses copains. Le dialogue du début prend alors tout son sens  : les hommes entre eux sont aussi féroces que les loups. Au fur et à mesure de l’avancement du film, Stéphane-Albert se retrouve de plus en plus isolé même carrément lâché par Bernard, son ami d’enfance. Les hommes se moquent de lui alors que, lui, se livre de plus en plus, s’offrant telle une victime expiatoire, exposant sa vulnérabilité. Il voudrait faire partie du groupe, être comme les autres, refuse de reconnaître qu’il est différent. Ses illusions se heurtent alors à la réalité et tout ce qu’il a fantasmé éclate au contact du groupe.
Autre chose  : Perrault ne s’est pas perdu avec ces hommes. Loin de là  ! En filmant cette partie de chasse, cette confrontation de l’homme avec la nature, le cinéaste met en images un imaginaire et une mythologie typiquement québécois. Et continue encore et toujours de filmer le Québec et d’en offrir une représentation nouvelle et originale. De plus, comme dans Pour la suite du monde\n, il met en scène une parole et donne à entendre, dans une série d’échanges intimes ou non, drôles ou tragiques, une langue riche et variée. La Bête lumineuse\n, le film, est comme la chasse, le grand lieu de la parole. Une autre des grandes préoccupations de Pierre Perrault, homme de radio venu au cinéma.
Surtout ne faîtes pas mon erreur initiale. Laissez-vous embarquer par ces dix solides gaillards. Sachez voir au-delà des apparences et vous découvrirez un film d’une beauté folle. Un film cruel et parfois même terrifiant qui présente un portrait de groupe magnifique, sensible et riche de toutes les complexités humaines.
 
Simone Suchet

1 Pocaille vient de l’anglais poked eye\n qui signifie œil poché.

 

Générique

Titre

La Bête lumineuse

Réalisation

Pierre Perrault

Image

Martin Leclerc

Son

Yves Gendron

Montage

Suzanne Allard

Production

Office National du Film (ONF)
Jacques Bobet

Distribution

Documentaire sur grand écran

Pays

Canada

Année

1983

Support

Beta SP, DCP, Blu-Ray, Fichier numérique

Distinctions

  • 1983 : International Filmfestival Mannheim-Heidelberg - Mannheim (Allemagne) - Prix spécial du Jury