1960, New-York, Bleecker Street. C’est dans ce quartier de Greenwich Village, à deux pas du Club où débutent Bob Dylan et Jimi Hendrix, que Lionel Rogosin décide d’installer sa salle de cinéma. Las de se battre pour projeter ses films ou ceux de ses amis, il crée ce lieu qui sera l’un des rendez-vous de la scène underground new-yorkaise jusqu’en 1974. Inauguré avec son film Come Back Africa, le Bleecker Street Cinema accueille nombre des films de la "neuvième vague" de metteurs en scène, parmi lesquels Shirley Clarke, John Cassavetes, Robert Frank, Jonas et Adolfas Mekas, Morris Engel, Andy Warhol… Le Bleecker Street Cinema est alors l’un des cinémas new-yorkais où se jouent les batailles mais aussi les grands défis esthétiques et politiques emblématiques du cinéma indépendant de ces années soixante. Un cinéma léger, libre et débridé qui fait écho à l’esprit du cinéma documentaire contemporain.
Les petites caméras HD d’aujourd’hui répondant aux caméras 16 mm d’hier. Les images de contestation d’hier répondant au cinéma activiste d’aujourd’hui. Cette effervescence créatrice et politique des années soixante se cristallise dans un mouvement appelé "New American Cinema" emmené par Lionel Rogosin, avec Jonas et Adolfas Mekas, Shirley Clarke, Bob Downey. Les films réalisés en totale indépendance d’Hollywood -voire contre Hollywood- deviennent emblématiques d’un cinéma direct, d’un cinéma poétique, d’un cinéma expérimental ou d’un cinéma politique soucieux de montrer l’envers du décor hollywoodien, l’autre face du rêve américain. Une explosion des thèmes, des styles et des genres chroniquée avec humour et passion dans la revue Film Culture par l’un de ses protagonistes, Jonas Mekas.
Les quatre ou cinq salles "art et essai" de New-York se partagent cette étonnante production. A l’affiche du Bleecker, on trouve ainsi majoritairement les films politiques d’une nouvelle génération de cinéastes activistes qui s’élèvent contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques des minorités ou la reconnaissance de la culture gay (Emile de Antonio, Lionel Rogosin, Shirley Clarke, Kate Millet, Storm de Hirsch…), tandis que les mythiques séances de minuit sont pleines de l’effervescence des avant-gardes du cinéma expérimental (Jonas Mekas, Kenneth Anger, Warren Sonbert…). Les Nouvelles Vagues française et tchèque y sont également très présentes.
A travers la reprise de ces quatorze films sélectionnés dans la programmation du Bleecker Street Cinema des années soixante, école d’un cinéma indépendant pour nombre de jeunes cinéastes parmi lesquels Martin Scorsese, John Cassavetes, Milos Forman ou Francis Ford Coppola, nous vous offrirons un bel aperçu de la formidable pulsation de cette "renaissance du cinéma américain", comme l’a qualifiée Dominique Noguez. Et, point d’orgue de cette semaine new-yorkaise, nous profiterons d’une séance spéciale autour du portrait de Shirley Clarke par André S. Labarthe et Noël Burch, Rome is burning, pour échanger sur les influences réciproques des Nouvelles Vagues française et américaine, à l’occasion d’une "Rencontre entre deux Nouvelles Vagues" en compagnie d’André S. Labarthe, Jackie Raynal (qui poursuivit l’aventure du Bleecker Street Cinema après Lionel Rogosin) et Eleni Tranouli, le dimanche 24 novembre après-midi.
Annick Peigné-Giuly, Hélène Coppel
Documentaire sur grand écran
Intervenants
En présence de Federico Rossin, Christian Lebrat, Thierry Jousse, Eleni Tranouli, Jackie Buet, Martha Kirszenbaum.